Le
samedi des amoureux, c’est le jour de la grasse matinée, des croissants et du
brunch. C’est le jour où l’on flâne dans les rues sans but précis, où l’on
s’assoit en terrasse à midi pour boire une bière. Enfin ça, c’est vrai pour
ceux qui ne sont plus étudiants, moi par exemple.
De
son côté, l’interne a beau travailler à l’hôpital toute la semaine, plus encore que le type en fusion-acquisition dont on plaint les horaires, et avoir des responsabilités non négligeables ie la vie, il reste
un étudiant. Il a donc parfois cours le samedi. Ô
joie.
C’est
ainsi qu’un samedi vers 7h45, mon interne se lève et se prépare à m'abandonner au profit d'un cours de
dissection. Malgré cette désertion, l’ancienne élève que je suis savoure le moment, car il y a
quelque chose de diaboliquement délicieux à profiter de ce dont les autres sont
privés. On déteste être malade, calé dans le canapé à regarder
des DVD l’après-midi d'un jour férié. On veut l’être quand tout le monde bosse, on est d'accord ? Là, c'est pareil.
Niark
niark niark, qui est-ce qui va profiter encore de la couette, regarder un
épisode de House of Cards, lire la
dernière B.D de Riad Sattouf ? C’est bibiiiii ! Je promets à mon pyjama de
ne pas le quitter avant midi. Je jure fidélité à mon lit et maudis seulement
les boulangers de ne pas disposer d’un service de livraison à domicile.
Mais
j’ai du savoir-vivre et je sais qu’il est cruel d’extérioriser ce genre de
considérations. Ce matin-là, je fais donc appel à toute ma bienveillance puis fais
mine de m’intéresser malgré des paupières alourdies par les Margaritas de la
veille (oui, les Margaritas sont un fil conducteur), et c’est donc forte de bons
sentiments que j’évoque la scène du film E.T.,
celle où le jeune Elliot, dans un élan humanitaire ambiance Brigitte Bardot,
ouvre les bocaux de son cours de biologie et libère tout un tas de grenouilles
promises à la mort par chloroforme.
- Je ne vais pas disséquer une grenouille.
- Une souris, alors ?
- Un cadavre.
- !
- ?
- !!!?!
Certes,
il paraît à la fois logique et rassurant qu’un chirurgien du corps humain ne
s’entraîne pas sur un batracien ou un rongeur - bien qu’en termes de minutie,
ces petites bêtes m’apparaissent tout à fait dignes de notre estime – mais
comment ça, un cadavre ??!
- De quelqu’un qui a donné son corps à la science.
Oui,
bah merci ! J’imagine bien qu’il n’existe pas d’équipe de fossoyeurs
arpentant les cimetières de nuit en se demandant qui va passer sous le bistouri
le lendemain.
- Hé Jean-Mich, tombe de droite ou tombe de
gauche ? On la joue à pile ou face ?
- Go pour celle de gauche, j’aime pas la tronche du
type sur le médaillon.
- Ok, aide-moi à bouger la stèle.
Au
nom de la science et après une pensée émue pour mes pauvres grands-pères – paix
à leur âme - dont j’ai pensé un instant qu’ils étaient encore en danger,
j’essaye de faire fi de toute émotion (« Il faut penser rationnel, il faut
penser rationnel ! ») et chasse les images de cimetières profanés
pour m’interroger sur le protocole.
- Et donc, vous êtes plusieurs chirurgiens de
toutes les spécialités et vous vous passez le corps au fur et à mesure ?
- Ah non, chaque équipe récupère seulement ce dont
elle a besoin. L’autre jour, j’ai soulevé le drap en arrivant, il n’y avait que
le tronc.
Les
Margaritas ont fait chemin arrière jusqu’à ma gorge. Je pense aux autres
internes en train de se lever pour trouver un corps froid en guise de
petit-déjeuner et je plains tous ceux qui, comme moi, ont lu et adoré The Walking Dead parce que c’est évident
qu’ils vont craindre que le corps se réveille brusquement pour les attaquer.
Alors évidemment, sans ses jambes pour courir ni sa tête pour mordre, le mort
devient quasi inoffensif, mais quand même.
- La légende urbaine veut qu’un interne ait un
jour trouvé sa grand-mère sur le billard.
Personnellement,
c’est avec une facilité déconcertante que j’ai tendance à croire toutes les
légendes urbaines (c’est ainsi que je suis par exemple persuadée que le mec ayant
passé le bac philo avec pour sujet « Qu’est-ce que l’audace ? » et
rendu : « L’audace, c’est ça ! » existe vraiment et est un
génie).
- Techniquement, je ne suis pas obligé d’aller à
ce cours, mais ces gens donnent leur corps pour nous permettre de nous
améliorer. Par respect pour eux, je dois y aller.
Alors
bravo, clap clap, larmichette et tout le toutim. L’éthique c’est très beau,
mais sérieusement, le cadavre l’emporte sur le croissant ? Allégresse de
ne pas être interne, mon sens des priorités est resté sûr.
Le
médecin enfile sa veste, claque la porte de l’appartement. Ses pas dans
l’escalier résonnent, qui le dirigent vers son étrange activité tandis que moi,
par respect pour les canards qui nous ont offert leurs plumes et les arbres morts pour
le papier, je me remets tranquillement sous la couette avec une BD.
Très bon !! Bravo !
RépondreSupprimerTrès drôle ! Vivement le prochain post.
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