Les
discussions de copains et de comptoir me l’ont appris : la compétition est
néfaste pour le couple. Se sentir moins brillant ou moins doué que l’autre fait
naître un sentiment de dévalorisation qui finit par gangréner l’union. Les psys
des magazines féminins et ma mère sont formels : on peut être
complémentaires, mais à la condition de se porter mutuellement une forme
d’admiration. Merci Cosmo, merci Elle, je veux bien, mais quand on sort
avec un médecin, il faut tout de même s’accrocher un peu pour équilibrer
l’admiration.
On
ne va pas se mentir, le travail est un élément qui participe de la
fougue amoureuse. Il n’est pas le seul, ok, mais il compte pas mal. Le travail,
c’est l’autre se réalisant, s’épanouissant en dehors de la sphère du couple, c’est
franchement séduisant. Alors forcément, lorsqu’on vit avec un homme dont le job
consiste à réparer des corps tandis que, pendant ce temps, on a élevé la
procrastination au niveau de super pouvoir, on est autorisé à s’interroger sur
son sort.
George
Sand a un jour écrit « Il n’y a pas
d’amour sans jalousie. » Elle est mignonne Georgette mais si j’étais
jalouse, moi, je serais en perdition parce que dans un match m’opposant à
l’hôpital, me font face en même temps sur le ring des co-internes jeunes et
brillantes et des infirmières qui portent sous leur blouse un imaginaire classé
X. Bonjour le déséquilibre.
L’injustice,
c’est qu’étant à mon compte, je ne peux de surcroît pas faire concourir le
moindre collaborateur un peu craquant. Pour susciter de la rivalité dans
l’esprit de mon médecin, je repasserai : mon bureau, c’est notre appart,
mon self, c’est notre cuisine et j’ai pour seuls collègues deux coussins brodés
représentant un chien et une vache habillés à la sauce Sherlock Holmes et
nommés respectivement George et Robert. Si leur style emprunté aux costumes de Downton
Abbey fait d’eux des compagnons attachants, c’est vrai que pour générer du
fantasme, ils ont leurs limites.
Il y
a un an et demi, j’étais encore consultante et même si le bureau n’était
composé quasi que de femmes, il y avait toujours la possibilité de sublimer des
prestataires ou des clients. Je pouvais aussi raconter cette réunion où j’étais
en charge de la présentation d’un projet et laisser mon médecin imaginer sa
nana en l’équivalent féminin d’un Leonardo Di Caprio version talons hauts,
jupe crayon sexy mama chocolat et surtout version française : La louve de
la Défense.
Depuis
que je travaille de chez nous et malgré quelques réunions, plusieurs clients et
des projets sympas, force est de constater que mes contacts extérieurs les plus
quotidiens se limitent souvent à ma rencontre avec le buraliste (« Le Parisien et un paquet de Gauloises, svp. »)
et le serveur du café d’en bas (« Un
coca light et un cendrier, svp. »). Alors au moment de raconter notre
journée respective, il me faut déployer des trésors d’imagination pour trouver
du sublime dans des journées dont la platitude concurrencerait le cerveau de
n’importe quel Ch’ti à Ibiza.
Ouhla je n’ai pas arrêté ! J’ai écrit 2
articles pour bidule, réalisé l’interview de truc et je bosse sur un discours.
J’ai aussi envoyé pas mal de mails, je pense que je vais décrocher le contrat
avec l’agence machin.
La
vérité, c’est que les articles sont écrits depuis deux jours, que l’interview
ne m’a pas encore été confirmée et que je vais bosser gratuitement sur le
discours. Concernant les mails, c’est vrai que j’en ai envoyé 32 : 5 à des
clients, 7 à des clients potentiels, mais surtout 20 à mes copines. Ce que je
regrette alors, c’est de ne pas pouvoir m’étendre sur le sujet car ce serait l’occasion
de défendre mes compétences acérées en recherches de lol cats et de vidéos YouTube inédites ou ma propension à débusquer
les meilleurs GIF de 9gag.com.
J’ai pas mal de boulot cette semaine, faut
que je m’organise. Ma to-do list est chargée, chargée, c’est un peu la
pression.
Et
quelle pression… Je suis freelance, ce qui en langage professionnel signifie
que la plupart du temps, je ne sais pas sur quoi je vais travailler la semaine
prochaine.
Quand
arrive son tour à lui, les réponses varient d’un jour à l’autre mais sont
toujours un peu violentes :
Lundi :
J’ai prélevé un rein à une fille de 27 ans, puis l’ai greffé sur sa jumelle.
Mercredi : J’ai
enlevé une tumeur cancéreuse à un monsieur de 54 ans.
Vendredi : J’ai reconstitué une vessie à partir d'un bout d’intestin.
En
somme, mon mec a joué à un mélange entre la version humaine de Makomoulage et celle
du Docteur Maboul, le tout avec une pression vitale. Au sens propre du terme.
Je
repense alors aux lol cats (ce chat
dans le verre à pied était vraiment mortel) et si je remercie ou le Ciel ou mon
destin que le type capable de fabriquer un organe à partir d’un autre ait de la
considération pour ma personne et mon travail, je puise surtout en
moi tout ce que j’ai de légèreté, de naïveté et d’illusion pour me convaincre
que ma journée n’a pas été vaine au regard de l’histoire humaine.
Encore une fois, que de rire et de vérité dans tes articles. bravo et merci, c'est un délice de te lire.
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