jeudi 20 novembre 2014

Soirée débrief entre internes : paie ton cauchemar

À la question : « Ce serait quoi ton pire cauchemar ? », je répondais assez spontanément : « Me retrouver seule au milieu de l’océan, la nuit ». Je trouvais l’idée absolument terrifiante. Avant, j’étais épouvantée par l’idée d’une séance de natation nocturne. Mais ça, c’était avant. Depuis, je suis partie en vacances avec deux urologues et une gynéco.

Au début, je faisais la maligne, je partais avec trois médecins, je disais à mes potes : « Alors là, je ne risque vraiment rien, il peut tout m’arriver ahahaha ! » Ouais, c’est ça, rigole fillette.

On est au Maroc, il fait beau, il y a du poisson grillé et des copains, tout est parfait. Après une journée passée entre la plage et des tajines, nous voilà de nouveau réunis autour d’une table, parce que manger est une activité en soi au Maroc. Le serveur dépose devant nous un couscous, quelques bouteilles de Boulaouane nous aident à faire passer la semoule. Au départ, c’est une soirée comme une autre, on se raconte des trucs, on rigole.

Sauf que les 3 médecins se connaissent depuis près de dix ans, qu’ils officient dans des hôpitaux différents et que ça fait longtemps qu’ils ne se sont pas vus. Du coup, ils ont plein de choses à se raconter. Moult moult choses. Déjà, je comprends que la soirée m’échappe. Je le réalise d’autant mieux à la découverte de l’expression « histoires de chasse », soit les situations professionnelles qui ne se sont pas passées comme prévu. Or les histoires de chasse de médecins sont légèrement différentes de celles de ton pote en marketing. Tout le monde s’en remet de ses histoires à lui. 


J’avais pourtant senti venir le piège. Quelque chose dans mon cerveau avait tiré une sonnette d’alarme : T’es sûre que tu veux entendre ça ?  Question à laquelle une autre partie de mon cerveau, un peu salope, avait répondu : T’es folle, je veux trop savoir !

Riri, Fifi et Loulou passent alors en revue les problèmes médicaux qu’ils n’ont pas compris (« Sérieusement, y’a des trucs que vous ne comprenez pas ? »), les coups de bistouri qui ont un peu trop glissé (« Sérieusement, parfois vous dérapez ? »), les opérations qui sont « parties en torche » avec personnel médical en panique et tout le toutim. Ils s’ambiancent les uns les autres, chaque histoire en fait naître une nouvelle et malgré leur langage elfique, je comprends beaucoup trop de choses.  

Le pire est arrivé avec la gynéco. Pour une jeune femme en bonne santé comme moi, les histoires d’urologues ne sont en effet pas méga inquiétantes : il s'agit avant tout de cancers de la prostate (ça, je ne l’aurai pas), de problèmes de rein (jusqu’à présent, tout va très bien), de sondes urinaires difficiles à caler (c’est que pour les hommes, on est d’accord ?). Avec la gynéco, c’est devenu un enfer.

Pour la césarienne, tu incises, tu ouvres le ventre, et là faut saisir les deux pans du ventre et baaaam tu tires fort. C’est une mini boucherie, oui. 

Ce soir-là, j’ai renié ma condition de femme et maudit mes hanches, à coup sûr trop étroites pour laisser passer, quand mon tour viendra, davantage qu’un rôti de petite taille.

Une boule s’est créée en moi, qui est passée du ventre à la gorge, m’empêchant presque d’ingurgiter le Boulaouane devenu pourtant indispensable. Je ne m’explique pas qu’alors, je ne sois pas tout simplement montée me coucher avec le mauvais bouquin emporté dans mes bagages (« Achète le dernier Tatiana de Rosnay, tu verras c’est sympa ». Oh non « sympa » n’est pas le terme consacré).

Blablabla le patient me lâche au milieu de la nuit blablabla on a dû refaire des points en urgence blablabla. Moi qu’on ne cite pas particulièrement en exemple de discrétion ou de mutisme, je me suis bien méga tue ce soir-là.

Alors tel un poète, j’ai regardé la plage, j’ai scruté la mer et l’horizon. Il était près de minuit, l’océan noir de jais nous faisait face et à cet instant précis, j’ai trouvé qu’aller nager en pleine nuit était juste super cool. Mon pire cauchemar ? Assister à une soirée débrief entre internes.  

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